Exposition virtuelle

Une histoire des coopératives ouvrières de production

XIXe siècle (première partie) : réinvention de la classe ouvrière

Dans les années 1830, la coopération ouvrière, sous sa forme moderne, commence à s'organiser en France dans un contexte politique et social extrêmement tendu. Suite à la révolution de Juillet - révolte populaire qui sera finalement récupérée par la bourgeoisie - et aux nombreuses répressions dont les ouvriers insurgés seront victimes sous la nouvelle monarchie de Juillet, la classe ouvrière prend conscience qu'elle ne pourra faire bouger les liens ni par l'action politique ni par la revendication ou la négociation. François Espagne parle de ce "double constat d'échec" comme d'un révélateur qui conduira à la modélisaiton de nouvelles formes d'organisations ouvrières.

Révolte des Canuts de 1834 à Lyon. Musée Gadagne, Lyon.

Le principe d'association ouvrière de production (AOP) est théorisé par Philippe Buchez, intellectuel et politicien saint-simonien, qui inspire la revue L'Atelier (1840-1870), organe de presse proposant de réformer la société à partir de ce courant de pensée. L'histoire retiendra l'Association des bijoutiers en doré comme étant la première coopérative ouvrière de production, née en 1834 sous le statut (pourtant illégal depuis la loi Le Chapelier de 1791) d'association ouvrière de production.

Portrait de Philippe Buchez (1796-1856) par Charles Bour.  

Revue L'Atelier : organe spécial de la classe laborieuse, octobre 1840, n°2. Bibliothèque nationale de France/Gallica. 

Les caractéristiques de l'AOP, notamment l'idée de réappropriation du capital par le travailleur et l'autogestion, en font une ascendante directe des actuelles Scop. De nombreux autres modèles, parfois concurrents, ont entre-temps essaimé dans toute l'Europe industrielle.

Quelques grandes figures de la coopération ouvrière et du socialisme utopique du XIXe siècle : 

  • Le Comte de Saint-Simon (1760-1825), philosophe et économiste ayant inspiré la pensée socialiste de la société industrielle naissante.
  • Robert Owen (1771-1858), père du mouvement coopératif et du socialisme britannique, inspire la société des équitables pionniers des tisserands de Rochedale (1844).
  • Charles Fourier (1772-1837), philosophe qui oppose aux travers de la société industrielle une "théorie de l'attraction passionnée" qui se matérialise dans l'idée du Phalanstère.
  • Etienne Cabet (1788-1856), politicien se réclamant du commmunisme, théorise une cité idéale et concrétise ses idées en fondant la communauté utopique d'Icarie en 1848, au Texas.
  • Flora Tristan (1803-1844), femme de lettres, militante socialiste et féministe, est une des figure majeure du débat social dans les années 1840, elle participa aux premiers pas de l'internationalisme.
  • Agricol Perdiguier (1805-1875), compagnon-menuisier, homme de lettres et député, il promeut le modèle du compagnonnage.
  • Louis Blanc (1811-1882), journaliste républicain, instigateur d'un socialisme d'Etat par la création d'Ateliers sociaux et d'Ateliers nationaux qui seront mis à mal par la IIe Répubique, suite à la révolution de 1848.
  • Jean-Baptiste Godin (1818-1888), industriel disciple de Charles Fourier, il est le fondateur du célèbre familistère de Guise.
  • Jean Allemane (1843-1935), syndicaliste socialiste, défenseur du modèle de la coopérative ouvrière syndicale.
  • Charles Gide (1847-1932), économiste engagé dans la promotion des modèles associatifs et coopératifs, fonde en 1886 l'Ecole de Nîmes - qui théorise la solidarité - et la Revue d'économie politique.

Dessin représentant le Familistère Godin à Guise. La fonderie, à droite et les bâtiments de vie, à gauche. 

Les projets coopératifs initiés par ces grands penseurs et acteurs de la coopération, pour la plupart considérés comme socialistes utopistes, empruntent également à des formes archaïques de la coopération et à une sorte de fantasme communautaire. Ils sont, dans ce bouillonnant XIXe siècle, bien souvent mis à mal par des dérives autoritaires ou des dispositions légales coercitives issues de la Révolution française et du Premier Empire. Le Code civil impose en effet de sévères restrictions des droits d'usages, comme l'affouage, le glanage ou le pacage, qui permettait aux paysans de disposer des avantages d'une terre dont ils n'étaient pas propriétaires, pour améliorer leur quotidien.

L'analyse que propose François Espagne de cet héritage "archaïque" révèle la volonté vivace des ouvriers et paysans français qui, de génération en génération, ne cessent de réinventer de nouvelles organisations solidaires fondées sur le travail et l'entraide mutuelle. Cette espérance en une organisation sociale du travail plus juste n'est donc pas neuve, et porte en elle le germe du modèle coopératif français.