Exposition virtuelle

Les expériences coopératives des Lip

Expérience coopérative : gouvernance, espoirs et déconvenues…

Au-delà du récit parfois romancé, élevé au rang de mythe dans l’imaginaire collectif des luttes, l’expérience collective des LIP comporte son lot d’espoirs et de déconvenues, d’idéaux utopiques et de renoncements.

 

De la pluralité des voix...

La communauté des Lip est constituée d’une pluralité de voix, reflet de salariés aux statuts variés (ouvriers qualifiés ou spécialisés, employés, cadres), d’hommes et de femmes (un peu trop souvent oubliées bien qu’elles représentent le double d’effectifs) ; mais aussi issus de différents syndicats (CGT, CFDT) aux stratégies parfois divergentes… Autant de situations qui expliquent que les discussions furent parfois houleuses et les décisions difficiles à obtenir dans les rangs des Lip.

 

… à l’école de la gouvernance démocratique

En rompant avec les chaînes de management et de décisions traditionnelles (hiérarchie de l’usine), les Lip instaurent de nouvelles formes de gouvernance, qu’ils souhaitent plus démocratiques et horizontales. Les assemblées générales, régulières, déjà éprouvées en mai 68, sont le lieu de cet apprentissage de la coopération à grande échelle, de la démocratie directe et de l’intelligence collective. Le modèle coopératif, par ses statuts intrinsèques, permet d’incarner les valeurs égalitaires poursuivies par les Lip, dans un cadre donné. Pour Les Industries de Palente, le passage en coopérative ouvrière instaure de nouvelles instances de décision : un conseil de surveillance (12 personnes, dont 6 responsables du personnel et 6 employés du côté « économique »), et, en son sein, un directoire de 3 personnes.

 

Une vision utopique d’usine « aux portes ouvertes »

Dès les débuts de la lutte, la mobilisation passe par une volonté d’ouvrir les portes de l’usine. Il s’agit de créer des ponts avec le monde extérieur, que l’usine ne soit pas uniquement le lieu du travail et de la contrainte mais un lieu de vie, d’interactions sociales. Ainsi, pendant l’occupation de l’usine, de nombreux événements y sont organisés : bals populaires, représentations théâtrales ou encore matchs amicaux. Cette dimension est portée par les sympathisants du mouvement puis s’incarne par la suite dans l’Association des Amis de Lip (2AL) qui a vocation à assurer la continuité du projet social.

Tract des ouvriers Lip pendant la deuxième phase du conflit, 1977. Archives municipales de Besançon.

Lip 1973-1974, le goût du collectif, 1977. 1FI1662, archives départementales du Doubs.

 

Le difficile exercice de la production coopérative dans un monde capitaliste inchangé

Au moment des discussions autour du projet coopératif, la crainte de réintégrer le système de production capitaliste et « ses règles du jeu » (compétitivité, productivité, rentabilité) cristallise beaucoup les oppositions.

Avec le passage en SCOP, un certain nombre des leaders syndicaux de la lutte occupent des fonctions de gestionnaires, nécessaires à toute entreprise, et pourtant éloignées de leur « culture d’origine ».

Malgré leurs idéaux et une capacité d’autocritique, la coopérative est contrainte de rentrer dans une logique de productivité pour être viable. Elle est en cela soumise à un plan de développement industriel très contraignant imposé par l’État, condition nécessaire à sa reconnaissance administrative.

La logique de solidarité entre les salariés et les chômeurs (ex-Lip), basée sur un partage de l’emploi et des revenus, se poursuit dans le modèle coopératif, dans l’attente de pouvoir officiellement réembaucher tous les Lip, objectif qui ne sera jamais atteint.

Enfin, les Lip doivent faire face à de multiples difficultés : charge mentale de l’emploi et responsabilité de la survie de l’entreprise, gestion des intérêts particuliers de salariés parfois démotivés, application à marche forcée du plan de développement industriel, …

Besançon, c'est (vraiment) fini! 3 mai 1986. La pays de Franche-Comté. Cote, archives municipales de Besançon.

 

Après des années de lutte et d’expérimentations, le modèle coopératif n’est pas parvenu à sauver l’entreprise Lip. Les Industries de Palente sont mises en liquidation en 1987 et toutes les coopératives finissent par péricliter entre 1985 et 1998. Le mouvement Lip a marqué l’imaginaire collectif, comme un moment de lutte autogestionnaire et créative, au retentissement exceptionnel en France et en Europe. L’aventure coopérative fait partie de ce moment collectif qui a montré qu’il était possible d’emprunter une autre voie...

Pour aller plus loin :

Découvrez le projet de collecte d'archives orales des archives départementales du Doubs et municiaples de Besançon : Conflit Lip, parole de témoins

Partez à la découverte des archives Lip en consultant la compilation des ressources disponibles réalisée par les archives municipales de Besançon (Lip, 1973-2003 : des archives pour retracer cette histoire) et les Archives de France (sources relatives à l’affaire Lip).

Bibliographie

  • Terrieux, Gérard. L’expérience LIP. Thèse de l’Université Paris I, Panthéon Sorbonne. [s.n.], [S.l.], 1983

 

 

  • Reid, Donald. L’affaire Lip, 1968-1981. Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2020.

 

  • Lip, une entreprise bisontine. In Mémoire vive, patrimoine numérisé de Besançon. [en ligne]. 2014 [consulté le 2 novembre 2023 ]. https://memoirevive.besancon.fr/page/lip-une-entreprise-bisontine

 

La Fondation Maison de Salins remercie chaleureusement le personnel des archives municipales de Besançon qui les a chaleureusement accueilli en salle de lecture, ainsi que les archives départementales du Doubs et le musée du Temps. Les illustrations de cette exposition sont issues des archives de ces deux services d'archives.