Exposition virtuelle

Les expériences coopératives des Lip

1976-1981 Le choix de la coopérative

La médiation orchestrée par le ministère du développement industriel aboutit à la nomination d’un nouveau patron, Claude Neuschwander, qui tente d’impulser un modèle de gestion différent, plus proche de l’esprit de mai 68. Mais la tentative se solde par un échec, et le dépôt de bilan est prononcé en avril 1976, suivi d’une nouvelle occupation de l’usine en mai. Finalement, la liquidation de l’entreprise (entre temps renommée Compagnie Européenne d’Horlogerie) est prononcée en septembre 1977.

 

Pour les salariés, c’est un retour à la situation de 1973... Après 3 mois de discussions, l’assemblée générale du 8 novembre 1977 aboutit au vote de la création d’une coopérative aux mains des ouvriers : Les Industries de Palente.

Les Industries de Palente, Scop créée par les ouvriers, reprenant l'acronyme de Lip, s.d. 34Z25, archives municipales de Besançon.

 

Une coopérative « faute de mieux » dans un contexte contraint

Alors qu’en 1973, l’idée de créer une coopérative avait été rapidement évacuée, elle apparaît en 1977 comme l’une des seules issues possibles. En 4 ans, le contexte socio-économique s’est tendu, la France fait face aux débuts de la désindustrialisation et les licenciements collectifs sont devenus monnaie courante. Si, en 1973, les salariés espèrent que des investisseurs vont se présenter pour reprendre l’usine, ça n’est plus le cas en 1977.

De la même manière, la perspective d’une solution politique s’amenuise, dans une France gouvernée par Valéry Giscard d’Estaing. Le choix de la coopérative ressemble à un pari pour « jouer la montre », dans l’espoir que l’élection législative de 1978 amène à l’Assemblée nationale une majorité de gauche, qui saurait mieux défendre les intérêts des ouvriers.

 

Une solution qui ne fait pas l’unanimité au sein des salariés

Le choix de la coopérative donne lieu à de vifs débats au sein des salariés. Certains y voient la continuité de la « rage de vivre » de Palente. D’autres, parmi les adhérents de la CGT notamment, envisagent cette option comme une forme d’abandon de la lutte et un aveu d’échec : renoncer à trouver de nouveaux investisseurs et un patron…

Pour tous, cette décision signifie l’acceptation d’une lourde responsabilité, celle de faire subsister les quelques centaines de travailleurs toujours en activité !

Ainsi le formule Jean Raguenès, un des protagonistes de lutte, dans Libération en 1977 : « Ce n’est pas pour enterrer le conflit, c’est pour nous prendre en main sans attendre de solution miracle du pouvoir, pour conserver dans son intégralité l’aspect communautaire du conflit » (Jean Raguenès, Libération, 12 oct. 1977)

Tandis que Charles Piaget, principal leader syndical, témoigne : « Nous n’avions qu’une alternative : ou mourir dignement sur une barricade, ou essayer de créer une coopérative » (L’Est républicain, 12 mai 1978).

La coopération de production

Dans ce numéro de 1973 de La coopérative de production (périodique de la CGSCOP), la coopérative est perçue comme une "roue de secours" dans la situation des Lip.

La coopération de production

Dans ce numéro de 1975 de La coopération de production (périodique de la CGSCOP), l'idée de la solution coopérative trouvée chez "Manuest" est d'autant plus marquante que la CFDT, organisation syndicale représentative chez Lip l'avait refusé, et dans le cas de "Manuest" ne s'y oppose pas.

Jean Raguenes et Charles Piaget, figures de la lutte des Lip, [1973-1974]. Source non identifiée.

La coopérative, un outil pour sauver les emplois
Comme le précisent à plusieurs reprises les Lip dans différents numéros du journal Lip-Unité, ce choix est avant tout une décision pragmatique : « La coopérative n’a jamais été une fin en soi, mais un moyen de lutte », « la coopérative est une structure juridique permettant de signer des contrats dans le but de donner à tous un emploi ».

Il s’agit avant tout d’une décision prise pour sauver les emplois. En optant pour la coopérative, les Lip pourront véritablement relancer l’entreprise et assurer l’embauche des salariés, leur redonner une sécurité matérielle.

En janvier 1978, Les Industries de Palente se constituent en SCOP, mais il faudra attendre juin 1980 pour sa reconnaissance officielle par les pouvoirs publics.

Le passage en coopérative a pu être analysé comme une position idéologique, celle du choix de l’autoémancipation des travailleurs, qui souhaiteraient devenir leur propre patron et être gestionnaire de leur outil de travail. Mais la réalité est plus nuancée : une large partie des salariés aspire au retour d’un patron, même si leurs attentes en matière de management et de conditions de travail sont désormais plus exigeantes.

Une coopérative, pourquoi ? Source non identifiée.

 

Une coopérative pour officialiser et légaliser l’outil de travail

Cette décision relève aussi du besoin d’obtenir un statut légal. En effet, depuis 1973, la lutte des Lip et les actions entreprises pour poursuivre l’activité ont souvent été sur le fil de la légalité : ventes sauvages sans TVA, recel de montres, occupation illégale de l’usine, « usurpation » de propriété intellectuelle… Ce qui leur a valu de souvent « jouer au chat et à la souris » avec la police. L’absence de statut officiel leur a également fermé la porte de certains dispositifs, l’accès à des prêts, ou même l’impossibilité de traiter avec certains fournisseurs.

Rentrer dans le chemin de la légalité n’est pas sans contrainte, puisqu’il leur faut dès lors racheter les murs de l’usine de Palente, les machines, les stocks ainsi que la marque.

 

En janvier 1978, Les Industries de Palente se constituent en SCOP, mais il faudra attendre juin 1980 pour sa reconnaissance officielle par les pouvoirs publics.

Statuts de la coopérative ouvrière de production "Les Industries de Palente", [1978]. COTE, archives municipales de Besançon.

Certificat de parts sociales, 1978. Tout sociétaire n'est tenu de souscrire qu'à une seule part d'intérêt lors de son admission. S'il est travailleur de la coopérative, il s'engage à souscrire, chaque année civile, un nombre égal au cinquantième de la rémunération perçue de la coopérative au cours de cette année civile. COTE, archives municipales de Besançon.