Coopération avec le Centre d'archives de Terre Blanche
Interview de Mathieu Petitgirard
C'est au coeur de la Franche-Comté, berceau industriel qui a vu naître la première usine de la famille Peugeot au XIXe siècle, que se situe le Centre d'archives de Terre Blanche. Depuis ce site historique, Mathieu Petitgirard, conservateur, veille sur un héritage industriel unique, celui des archives historiques de PSA Peugeot-Citroën (groupe Stellantis).
Parmi ces archives, de nombreux documents témoignent de l'existence de coopératives du personnel au sein de l'entreprise ; grâce à un partenariat avec la Fondation Maison de Salins, ces archives refont surface et apportent un nouvel éclairage sur l'histoire des mouvements coopératifs ouvriers.
Bonjour Mathieu Petitgirard. Vous êtes conservateur du Centre d'archives de Terre Blanche (Hérimoncourt) ; pouvez-vous nous présenter cette institution et vos missions en son sein?
Le Centre d'archives de Terre Blanche a été créé en 2010, dans le but de sauvegarder les archives historiques du groupe PSA Peugeot-Citroën. Plusieurs entités patrimoniales lui préexistaient - le musée de l'aventure Peugeot (Sochaux), le Conservatoire Citroën DS (Aulnay) et la CAAPY (Poissy) - mais elles étaient très centrées sur le produit. On y trouvait des voitures, de la documentation technique ou commerciale. Avec Terre Blanche, le projet était de créer de la complémentarité, en conservant tout ce qui est en amont de la commercialisation : les ressources humaines, l'immobilier, la conception, etc.
Depuis 2010, le Centre d'archives Terre Blanche est piloté par le fonds de dotation Peugeot pour la mémoire de l'histoire industrielle. En 2015, l'ensemble des entités patrimoniales du groupe PSA Peugeot-Citroën ont été regroupés sous l'intitulé l'Aventure Peugeot Citroën DS.
Si l'on revient un peu en arrière, il faut savoir que la famille Peugeot a toujours été attachée à la préservation du patrimoine de la marque ; elle a ainsi pris soin de documenter ses activités, par la photographie notamment, depuis ses débuts en 1810. L'impulsion récente du fonds de dotation Peugeot pour la mémoire de l'histoire industrielle, porté par Thierry Peugeot, démontre un attachement familial qui perdure.
Au Centre d'archives de Terre Blanche, mes missions prioritaires sont la sauvegarde et la valorisation du patrimoine historique d'un groupe industriel de plus de deux siècles, un groupe multimarques connu pour la construction automobile mais qui a aussi innové dans les cycles, l'outillage, les machines à coudre, et même les baleines de corsets féminins!
Quels types d'objets ou de documents conservez-vous? Combien peut-on actuellement compter sur le site de Terre Blanche?
Nous recensons au total 8 kilomètres linéaires d'archives au Centre d'archives de Terre Blanche, dont 4,5 millions de photographies, 30 000 films et K7 vidéos, 2 millions de plans techniques et microfiches, 30 000 affiches, et de nombreuses archives papier principalement constituées de registres, dossiers de conception, catalogues publicitaires, documentation commerciale, etc.
Nous conservons les archives physiques dans des magasins respectant les normes de température et d'hygrométrie. Une grande partie de notre activité consiste aussi à numériser les documents, d'une part pour assurer leur conservation (création d'un double numérique, notamment pour les supports non pérennes comme la vidéo), et d'autre part pour pouvoir en assurer la valorisation.
En moyenne, nous réceptionnons 300 nouveaux mètres linéaires par an (dépôts de services actifs du groupe, d'anciens salariés ou collectionneurs), mais ce volume physique tend à s'amenuiser au profit du numérique. En effet, nous menons un chantier important, qui représente un défi d'avenir : la collecte et la conservation des fichiers numériques natifs.
Comment rendez-vous accessibles les archives de vos collections? Pour qui et pour quel usage?
Nous avons un portail de consultation des archives : www.archives-laventurepeugeotcitroends.com
Celui-ci présente deux niveaux d'accès : le premier est gratuit sur inscription et donne accès à une partie de la base, le second concerne les chercheurs et les passionnés qui peuvent avoir accès à l'intégralité des fiches descriptives pour 15€ par an. Tout n'est pas encore numérisé, donc des visuels manquent encore pour accompagner les fiches descriptives, c'est pourquoi nous avons aussi, en complément des consultations en ligne, de nombreuses demandes de recherche à distance et de consultation sur place.
Ainsi, nous recevons une cinquantaine de personnes par an, des écrivains, des journalistes, des chercheurs et des étudiants, pour des séances de travail in situ. C'est très gratifiant pour notre équipe de voir l'attrait de nos collections auprès de professionnels du monde entier et de pouvoir les aider dans leurs recherches.
Nous valorisons également les archives de Terre Blanche chaque année auprès du grand public, par des visites guidées à l'occasion des Journées européennes du patrimoine. En 2022, nous préparons aussi une exposition sur les paysages industriels des XIXe et XXe siècles. Ici, le territoire est toujours marqué par l'héritage industriel qui l'a façonné, et de nombreuses histoires familiales y sont encore liées. Le sujet concerne beaucoup de monde!
Enfin, pour faire vivre les images numérisées le plus largement possible, nous sommes en partenariat avec la plateforme Photononstop : cette banque d'images en ligne à destination des professionnels, est chargée de valoriser et vendre une sélection des contenus iconographiques de Terre Blanche. A ce jour, 12 000 photos sont référencées et accessibles.
Le fonds de dotation Peugeot et la Fondation Maison de Salins (Fondation d'entreprise Crédit agricole) ont récemment noué un partenariat dans le but d'explorer, sur un même territoire, l'histoire industrielle et l'histoire du mouvement coopératif. En quoi consiste concrètement ce partenariat? Quelles opportunités voyez-vous dans cette collaboration?
Quand la Fondation Maison de Salins m'a contacté pour envisager un partenariat, j'ai été très enthousiaste car pour une association loi 1901 comme Terre Blanche, c'est toujours une belle opportunité que de nouer des liens avec des professionnels d'autres structures culturelles. Florence Paillot et son équipe souhaitaient au préalable consulter les documents que nous avions sur les coopératives, et très rapidement - malgré les confinements successifs - nous avons envisagé un projet gagnant-gagnant. Nous avons accueilli les archivistes de la Fondation Maison de Salins qui ont effectué un travail de description et de numérisation des archives en lien avec les mouvements coopératifs. Cet apport technique et scientifique était important car il nous a permis de traiter et mettre en lumière une partie des archives que nous connaissions peu et qui n'étaient pas valorisées. Ces archives numérisées seront prochainement accessibles depuis nos deux plateformes de consultation, nous décuplons donc leur visibilité!
Au-delà de l'aspect archivistique, ce partenariat nous fait aussi gagner en notoriété car nous avons besoin d'être mieux identifiés auprès des chercheurs et des étudiants. En retour, la Fondation Maison de Salins enrichit ses collections et son expertise sur l'histoire des mouvements coopératifs, au-delà du secteur bancaire ou agricole.
En termes d'histoire sociale, je trouve qu'il est très important d'étudier les coopératives, de comprendre comment les ouvriers se sont réunis pour essayer d'améliorer leurs conditions de vie, comment certaines entreprises les ont aidées. C'est une grande satisfaction de savoir que ces archives pourront être facilement consultées grâce au portail de la Fondation Maison de Salins!
Interview réalisée en mars 2022.